"Il m'arrive souvent de prendre l'hélicoptère. A cette altitude, je "lis" les champs de blé, de seigle, les cépages. Je découvre l'identité du fermier, du vigneron, du paysan. Un vrai paysan doit savoir tout faire. Le vigneron malgré tout, reste un peu à part. C'est un spécialiste, un cardiologue. J'ai compris qu'il pouvait être un artiste.
C'est Jen Jarry qui m'a initié, Jean le vigneron. C'est avec lui que j'ai appris. On allait ensemble dans les vignes, aux premières lueurs du jour. Il me donnait des cours d'oenologie sur le tas. Il m'aidait à reconnaître toutes les feuilles des cépages : le cabarnet, la Syrah, le chardonnay, le grenache, le chenin.
La vigne a une caractéristique : plus le terrain est pauvre, meilleur est le vin. Si la vigne est rocailleuse, s'il y a un énorme rocher, elle trouvera sa racine derrière ce rocher, et c'est derrière sa racine que le raisin pourra s'exprimer.
J'adore cette idée, c'est elle qui se rapproche le plus fidèlement de la nature humaine. Je ne juge jamais les gens. J'ai justement envie d'aller voir derrière leur rocher de connerie pour essayer de découvrir autre chose, de révéler leur sève. Evidemment on n'est pas à l'abri d'un picrate. Mais il y a des cépages nobles, des appellations.
Avec le phylloxera, cette saloperie venue d'Amérique, on a été obligé de replanter des clones. En 7 ou 8 ans, les cépages étaient pourris par cette maladie. Il existe heureusement des vignerons qui travaillent avec de vrais cépages. Il faut être attentif. On s'aperçoit aussitôt de la fantaisie, de la verve artistique d'un vigneron en goûtant son vin. On fait tout de suite la différence entre celui qui travaille avec un esprit créatif et celui qui fabrique un produit commercial.
Je n'aime pas tellement tous ces gens qui goûtent moderne, qui prennent d'abord le bouquet, où on favorise où on en encourage les arômes primeurs. Cela a été cuvé très court pour développer un maximum d'arômes. Mais tu ne peux pas tout avoir. Si tu développes ton arôme, tu n'auras plus de longueur de vin. Il faut savoir si tu bois le vin ou si tu le sens! Tête de con ! Un très bon vin, c'est simplement comme la nature le dit, comme le cours des saisons. Le printemps, c'est la montée de la sève, l'été c'est l'épanouissement, l'automne c'est recharger la sève, faire en sorte de la mettre à l'abri du gel."
la manière de voir
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